Quand nous parlons de la Résurrection, nous avons un certain nombre d’images devant les yeux – et du reste on ne peut pas se passer d’images – Mais nous ne devons pas nous laisser égarer par ces images ; aucune image aucune représentation ne peut exprimer ce qu’est la résurrection. Dans notre langage fait pour exprimer les réalités terrestres, nous disons que le Christ est sorti du tombeau. Mais s’il est sorti du tombeau c’est parce qu’il est sorti en réalité de notre monde, pour entrer dans un monde nouveau incomparable à ce monde ci. Lorsqu’il est dit que l’ange avait roulé la pierre du tombeau, on pourrait donc penser, que puisque Jésus est sorti du tombeau il fallait bien que la porte soit enlevée ; mais si l’ange a roulé la pierre du tombeau, ce n’est pas pour que Jésus puisse en sortir, mais pour que Marie-Madeleine qui s’était demandée qui allait lui ouvrir la porte du tombeau, pour que les femmes, Pierre et Jean puissent y rentrer et constater que le corps de Jésus ne s’y trouvait plus, qu’il était désormais ailleurs, passé comme il l’avait promis d’un lieu de mort au lieu de la plus grande Vie. Et Jean en voyant les linges croit : « il vit et il crut » ; il ne croit pas que le corps de Jésus s’est glissé hors des linges, il comprend que justement il n’y a pas eu un mouvement spatial hors des linges, car les linges sont simplement affaissés, il comprend que le corps de Jésus a quitté sans mouvement cet espace qu’il occupait dans le drap mortuaire, non pas pour un autre espace terrestre, mais pour le monde de la Résurrection ; et ce n’est pas par un simple raisonnement logique qu’il est parvenu à croire, si ces indices l’ont conduit à croire c’est qu’il avait gardé dans son cœur, comme une pierre d’attente, toutes ces paroles où Jésus avait annoncé qu’il ressusciterait, qu’il allait retourner auprès du père, qu’il allait aller préparer une place à ses disciples.
Dans sa Résurrection, le Christ ne s’est pas levé du tombeau pour sortir du tombeau et aller dehors, le Christ a quitté notre monde, Il n’est plus dans cet univers qui est le nôtre ; la mort est vaincue, mais pour ouvrir à un tout autre espace de Vie.
La Résurrection, c’est le fait que le Christ dans son âme et dans son corps, dans cette humanité en tout semblable à la nôtre qu’Il a prise dans le sein de la Vierge Marie, le Christ dans cette humanité qui a partagé en tout la vie des hommes, le Christ qui dans cette chair semblable à la nôtre a souffert, a été flagellé, cloué au bois, qui est mort, le Christ dans cette humanité, est repris par la vie, non pas la vie de cette terre pour continuer à aller et venir parmi nous, non pas pour un supplément de vie terrestre comme ce fut le cas pour Lazare, le Christ est ressuscité pour une vie nouvelle, une vie inimaginable pour nous, une vie éternelle, parce que c’est la vie même de Dieu.
L’humanité du Christ, l’âme et le corps du Christ, sa chair, qu’Il a voulu prendre pour être notre frère, cette humanité du Christ ne fait plus partie de notre monde, elle est au sein même du monde de Dieu. Cela veut dire qu’à l’intérieur, au plus intime de la vie de Dieu, ce Dieu qui de toute éternité est Père, Fils et Esprit, ce Dieu dont Jésus nous dit qu’Il est “sorti” pour venir dans le monde, cette vie éternelle de Dieu, le Christ y retourne par sa résurrection avec l’humanité qu’Il a prise dans le sein de la Vierge Marie.
Désormais, il y a un humain au cœur même de la Trinité. Pour le Fils de Dieu fait homme, quand Il ressuscite, c’est son humanité la plus concrète qui est transfigurée, divinisée, qui entre dans la sphère divine ; ce qui fait que désormais, il y a une humanité en tout semblable à la nôtre, au cœur même du mystère de Dieu. Et parce que le Christ est ainsi avec son corps humain au cœur même de Dieu, qu’il est glorifié dans ses pensées, sa volonté, sa liberté, son âme et aussi son corps, il y a au cœur de Dieu, le germe d’un univers nouveau prêt à accueillir les humains.
Non seulement il y a son corps, mais il y a le germe de nos corps ressuscités à nous aussi, et si la chair du Christ est ressuscitée, notre chair aussi est appelée à cette résurrection, et c’est pourquoi l’Écriture nous promet “une terre nouvelle et des cieux nouveaux” (Is.65,17 et Apoc. 21, 1), car c’est tout l’univers qui sera repris, glorieusement reconfiguré, éternisé dans l’amour même de Dieu. Cet univers nouveau inauguré à Pâques, c’est le Royaume dont nous parle l’Écriture, c’est le Royaume de Dieu vers lequel nous sommes appelés, vers lequel nous marchons, et si nous célébrons Pâques aujourd’hui, c’est parce que nous savons que nous sommes appelés, à cette vie nouvelle, où tout notre être sera transfiguré.
L’effet de la résurrection du Christ sur nous, l’entraînement de notre humanité par son humanité transfigurée n’est pas seulement pour un lointain avenir ; quand le Christ vient en nous aujourd’hui il ne laisse pas au-dehors la puissance de sa Résurrection ; nous sommes déjà marqués par la création nouvelle, nous vivons déjà de cette vie nouvelle, même si en nous elle n’a pas éliminé l’homme ancien, et si nous devons nous aussi comme Jésus passer par le dépouillement de la mort ; mais comme Saint-Paul nous le dit :”C’est pourquoi nous ne perdons pas courage, et même si en nous l’homme extérieur va vers sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour.”
La fête de Pâques qui est le centre de l’année chrétienne, marque avec force que l’horizon de notre existence d’aujourd’hui à travers les circonstances les plus concrètes, est la vie en plénitude, au-delà de cette vie terrestre, mais que cette vie est déjà commencée, et que c’est d’elle par-dessus tout que nous avons à prendre soin.
La pandémie d’aujourd’hui nous rappelle ce que nous oublions si rapidement, et ce que la culture d’aujourd’hui fait tout pour que nous l’oubliions, la fragilité de notre existence terrestre, la relativité de toute réalité terrestre. Elle doit pousser à s’interroger sur le sens ultime de l’existence. C’est seulement par la mort et la résurrection de Jésus que les apôtres ont enfin compris que le royaume de Dieu qu’ils attendaient était au-delà de l’horizon de la vie sur terre ; il a fallu que soient pulvérisés par la mort de Jésus leurs espoirs terrestres, pour que leurs yeux s’ouvrent et qu’ils acceptent d’entrer dans la perspective de la vie nouvelle manifestée par la résurrection, et qu’ils en deviennent les apôtres.
D’ailleurs on peut constater que la question de Dieu qui est habituellement ignorée dans l’espace médiatique, émerge dans les débats ; et c’est sous la forme : est-ce que Dieu est pour quelque chose dans cette pandémie, est-ce que ce peut être une punition, est-ce qu’Il peut se mettre en colère ? Car, à rebours de ce que dit la parole de Dieu, aujourd’hui on peut écarter la notion de punition divine, ou de colère divine ; car, veut-on croire, cela serait contradictoire avec un Dieu miséricordieux. Certes ce sont des mots qui appliquaient à Dieu ont leurs limites, comme tout ce que l’on attribue à Dieu dans un langage humain, il n’empêche que ce sont des réalités présentes dans la parole de Dieu, et qui doivent bien traduire quelque chose d’important du rapport de Dieu avec les hommes. On peut comprendre que lorsque Jésus, qui dit pourtant qu’il n’est pas venu pour juger mais pour sauver, se met en colère et chasse les vendeurs du temple armé d’un fouet pour faire ressortir les animaux ça ne constitue pas un écart, une faille dans sa volonté de sauver les hommes, dans son amour, dans sa miséricorde. Mais c’est l’ultime moyen de sa miséricorde face à l’endurcissement des cœurs. Et la miséricorde n’a pas de sens, s’il n’y a pas de justice. Et ainsi en va-t-il des punitions de Dieu, ultime moyen pour ramener les hommes vers lui, vers la vie, les détourner des chemins de mort éternelle. Et si l’église enseignait que Dieu ne punit pas, qui ne peut se mettre en colère contre les hommes, ce serait faire obstacle aux voies pour le salut des hommes.
La fête de Pâques nous rappelle l’ordre des priorités ; oui nous avons à travailler à l’amélioration de la vie sur terre, à répondre à nos besoins et aux besoins terrestres des hommes, mais la priorité c’est d’entrer, et d’aider les autres à entrer, dans la vie nouvelle que donne la foi au Christ Réssuscité et le rejet du péché. Et si toutes les sécurités humaines sont remises en cause en ce temps de pandémie, c’est dans le plan de Dieu pour que les hommes retrouvent l’ordre des priorités, et la relation fondamentale avec leur Dieu, qui seule peut donner sécurité et bonheur, ce Dieu qui est aujourd’hui si largement rejeté et même combattu.
Demandons à la Vierge Marie qu’elle nous apprenne à suivre Jésus de plus en plus, pour que grandisse nous en nous la création nouvelle, et que nous en portions témoignage pour le salut des hommes.
frère Marie-Vianney JUVENEL